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Transhumanisme : L’idéologie dominante de la quatrième révolution industrielle

Cet excellent article d’un professeur français de sciences politiques conclut que « le transhumanisme est déjà une idéologie dominante, car il écrase toutes les autres positions idéologiques concernant le changement technologique. » La technocratie et le transhumanisme sont comme des jumeaux siamois joints par la hanche idéologique. ⁃ TN Editor

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Introduction


Dans ce volume consacré au transhumanisme, il est important de glisser, même furtivement, quelques mots de science politique. Par essence, la science politique est l’étude des relations de pouvoir et de la manière dont elles sont justifiées et contestées. Vu sous cet angle, le « transhumanisme » prend une signification cruciale. En effet, la pensée transhumaniste vise à transcender notre condition humaine « naturelle » en adoptant des technologies de pointe. Le mouvement est déjà passé par plusieurs étapes de développement, après avoir émergé au début des années 1980, même si l’adjectif « transhumaniste » a été utilisé dès 1966 par le futuriste irano-américain Fereidoun M. Esfandiary, alors professeur à la New School of Social Research de New York, et dans les ouvrages d’Abraham Maslow (Toward a Psychology of Being, 1968) et de Robert Ettinger (Man into Superman, 1972). Cependant, ce sont les conversations d’Esfandiary avec l’artiste Nancie Clark, John Spencer de la Space Tourism Society et, plus tard, le philosophe britannique Max More (né Max O’Connor) en Californie du Sud qui ont suscité les premières tentatives d’unification de ces idées en un ensemble cohérent. La renommée d’Esfandiary s’est rapidement accrue depuis qu’il a changé son nom légal, devenant l’énigmatique FM-2030, tandis que Clark a décidé qu’elle serait désormais connue sous le pseudonyme de Natasha Vita-More, et a rédigé la Déclaration des arts transhumanistes en 1982.

En l’espace d’une dizaine d’années, le mouvement a attiré une poignée de philosophes universitaires tels que le Suédois Nick Bostrom, qui enseigne à l’université d’Oxford, les Britanniques David Pearce et Richard Dawkins, et l’Américain James Hughes. Le mouvement a désormais atteint une masse critique suffisante pour être pris au sérieux dans les débats universitaires. Parallèlement, un courant d’activisme politique commence à se faire entendre, d’abord par le biais de revues spécialisées comme Extropy (première publication en 1988) et le Journal of Transhumanism. Un certain nombre d’associations nationales et internationales ont ensuite été créées, notamment l’Extropy Institute (1992), la World Transhumanist Association (1998, rebaptisée Humanity+ en 2008), Technoprog en France, l’Associazione Italiana Transumanisti en Italie, Aleph en Suède et Transcedo aux Pays-Bas. Ce militantisme politique était entièrement organisé en ligne, par le biais d’une multitude de forums de discussion, de bulletins d’information par courrier électronique et de la conférence bisannuelle Extro, autrefois très attendue.

Ces dernières années, le transhumanisme s’est nettement politisé, revigoré par l’arrivée des premiers partis politiques qui ont pour mission d’influencer les décisions et les agendas politiques. Aux États-Unis, le Parti transhumaniste a présenté un candidat, Zoltan Istvan, lors de l’élection présidentielle de 2016. Le Royaume-Uni a un parti du même nom, tandis que l’Allemagne a le Transhumane Partei. Viennent ensuite les universités privées entièrement dévouées à la cause transhumaniste – la Singularity University de Google a été fondée en Californie en 2008, et le camp près d’Aixen-Provence a ouvert ses portes fin 2017 – et divers instituts et fondations privés, dont la XPRIZE Foundation et l’Institute for Ethics and Emerging Technologies. De nombreux groupes de la société civile ont également vu le jour dans le monde entier.

I – Une idéologie politique


A ce stade, le transhumanisme est devenu une doctrine assez cohérente et étayée. Non contents d’expliquer le présent, les transhumanistes sont désireux de promouvoir un programme explicite et détaillé de changement sociétal. Le transhumanisme possède désormais toutes les caractéristiques d’une véritable idéologie politique et constitue donc une cible légitime pour la critique idéologique (Ideologiekritik), en tant que l’une des « légendes qui […] revendiquent l’autorité en donnant [à la domination sociale] l’apparence de la légitimité », tout en jouant « un rôle important dans la défense, la stabilisation et l’amélioration de tous ces avantages, qui sont en fin de compte liés à la position des groupes dirigeants « 1 . « 1 Introduit pour la première fois par le philosophe français Antoine Louis Claude Destutt de Tracy dans son ouvrage Éléments d’idéologie (1817)2, le concept d’idéologie est toujours compris comme un système « d’idées par lesquelles les hommes posent, expliquent et justifient les fins et les moyens d’une action sociale organisée » (3), et ce malgré les différences marquées dans la manière dont elle a été conceptualisée par Gramsci, Mannheim, Althusser, Poulantzas et Habermas, par exemple, différences sur lesquelles nous ne pouvons nous attarder ici. L’accent est donc mis sur la manière dont les idéologies servent à justifier les objectifs et les stratégies de l’action politique. Nous entrons dans le domaine de l’idéologie chaque fois que nous rencontrons un « isme » : le libéralisme, le socialisme, l’environnementalisme, le nationalisme, le féminisme, le fascisme, et ainsi de suite, tous véhiculés comme de véritables mouvements d’idées transnationaux et offrant aux acteurs politiques un cadre conceptuel pour leurs actions, qui se jouent maintenant sur une scène mondialisée.4 Comme Antonio Gramsci l’a dit, les idéologies « ‘organisent’ les masses humaines, elles établissent le terrain sur lequel les humains se déplacent, prennent conscience de leur position, luttent, etc.5 ».

La dimension normative du transhumanisme, qui s’est d’abord exprimée par un débat éthique et juridique sur les limites à fixer au progrès technologique, notamment en génétique6 et en neurosciences, s’est ensuite étendue au débat sociétal sur tous les changements technologiques futurs. Les transhumanistes soutiennent que nous devrions aspirer à transcender la condition humaine, en travaillant à l’avènement d’un être posthumain génétiquement et neurologiquement modifié, totalement intégré aux machines. Ce développement se ferait lentement, étape par étape, mais il s’agirait d’un projet « proactif », donc contraire au principe de précaution.7 Leur vision appelle à une fuite en avant, en partant du principe que les êtres humains sont encombrés de limites biologiques qui les empêchent de relever efficacement les défis d’un monde de plus en plus complexe. La voie logique à suivre est donc d’étendre nos capacités en intégrant toutes sortes de technologies émergentes, voire en nous programmant de telle sorte que nous finissions par devenir des posthumains. C’est le véritable aboutissement de l’agenda décrit dans l’essai classique de 1968 de Jürgen Habermas, Technology and Science as Ideology.8 Très souvent, les objectifs des « technoprophètes » (pour reprendre le terme de Dominique Lecourt)9 prennent une tournure gnostique qui frise la religion10, dans la mesure où de nombreux auteurs apparaissent comme de véritables convertis à la croyance en la possibilité d’atteindre l’immortalité, voire de réanimer les morts grâce à des technologies avancées après un séjour dans un état cryogénique. Laurent Alexandre, le favori des médias, appelle cela « la mort de la mort « 11.

L’objectif politique est parfaitement transparent. Il s’agit ni plus ni moins de la création d’un nouvel être humain12 et, par conséquent, d’une société entièrement nouvelle, tout comme les idéologies passées (communisme, fascisme, etc.) aspiraient à le faire par d’autres moyens (finalement moins radicaux). Bien sûr, ce mouvement politique transnational contient des différences idéologiques prononcées en termes de technologies à privilégier et de stratégies à poursuivre, notamment entre les « technoprogressistes » (tels que James Hughes, Marc Roux et Amon Twyman), qui adoptent une vision plus égalitaire du chemin vers la condition posthumaine, 13 et les « extropiens » ou « technolibertaires » (tels que Max More et Zoltan Istvan), qui pensent que le perfectionnement et l’augmentation de nos capacités par la technologie devraient être une question de choix individuel et de moyens financiers, même si cela conduit à de graves inégalités ou, pire, à un système de castes technologiques. 14 Cependant, il ne s’agit là que de luttes politiques internes entre différentes sensibilités15 ; toutes les factions sont en parfait accord sur les principes de base du transhumanisme.

La pensée transhumaniste peut être décomposée en trois prémisses principales, chacune ayant une intention éminemment politique :

  1. L’être humain dans son état « naturel » est obsolète et doit être amélioré par la technologie, qui devient alors un moyen de prolonger artificiellement le processus d’hominisation. Ainsi, le transhumanisme fait entrer la taxonomie humaine dans l’arène politique. Une observation de Michel Foucault, écrite en 1976, me vient à l’esprit : « Ce qu’on pourrait appeler le « seuil de modernité » d’une société est atteint lorsque la vie de l’espèce est mise en jeu dans ses propres stratégies politiques. [L’homme moderne est un animal dont la politique met en question son existence en tant qu’être vivant « 16 En d’autres termes, les transhumanistes estiment que nous avons le devoir de remplacer la catégorie d’humain par une nouvelle créature, un post-sapiens sapiens. Nous nous trouverions potentiellement, en termes zoologiques, à un moment de spéciation : une situation extrême où une nouvelle espèce se détache et s’avance pour rejoindre le règne animal.
  1. L’objectif est l’hybridation totale entre l’être posthumain et la machine, ce qui va bien au-delà de l’interface homme-machine que nous connaissons aujourd’hui (en interagissant avec les téléphones portables et les ordinateurs, par exemple). L’image hallucinante d’un hybride homme-machine suggère une intégration permanente, fréquemment évoquée par l’un des idéologues les plus en vue du transhumanisme, Ray Kurzweil. Kurzweil pense que les êtres humains devraient devenir une partie intrinsèque de la machine, que nous devrions être (re)programmables comme des logiciels.17 C’est l’aboutissement logique du fétichisme machiniste du mouvement cybernétique de l’après-guerre, incarné par Norbert Wiener et un cercle d’autres mathématiciens et philosophes.18 Il ne propose rien de moins que la soumission totale à la rationalité technique, notre subjectivité humaine étant supprimée. Dès lors, la technologie, considérée comme le nouvel agent d’hominisation, devient paradoxalement le principal instrument de déshumanisation. Le machinisme transhumaniste s’avère être fondamentalement antihumaniste, notamment parce que la machine est par définition inhumaine.
  2. Il s’agirait de transcender non seulement notre humanité mais aussi ce que l’on pourrait appeler la matrice idéologique de base qui sous-tend de nombreuses autres idéologies (libéralisme, socialisme, conservatisme, etc.), à savoir l’humanisme, qui rassemble toutes nos façons de nous comprendre en tant qu’êtres humains au centre du monde et au sommet de la pyramide des espèces. Alors que les humanistes croient que les individus peuvent s’épanouir moralement grâce à l’éducation et à la culture (l' »humanisation de l’homme »), l’idéologie transhumaniste propose un tout nouvel ensemble de valeurs, insistant sur la nécessité de passer à une espèce posthumaine capable de s’améliorer continuellement en intégrant de nouveaux composants technologiques. En un sens, la technologie rend inutile tout effort moral, éducatif ou culturel.

À partir de ces trois prémisses, l’idéologie transhumaniste se divise en une variété de champs discursifs, chacun inspiré par une nouvelle invention qui nous accélérera sur notre chemin vers les hautes terres ensoleillées du futur.19 Nous voyons un de ces champs se développer autour de la technique controversée de la manipulation génétique humaine. Au cours de l’été 2017, une équipe de chercheurs aux États-Unis a réussi la première modification du génome humain, en utilisant la méthode CRISPR-Cas9 pour extirper une maladie cardiaque héréditaire.20 Le jour viendra où cette technique sera entièrement développée et autorisée à être utilisée, ne serait-ce que dans un seul pays. Une seule procédure suffira à éliminer tout risque de trouble génétique dans chaque génération descendant de l’embryon. Il s’agit donc d’une véritable forme d’amélioration génétique de la reproduction. Dans ce cas, comme dans d’autres, la médecine fait office d’éclaireur et s’attaque à un tabou, car qui pourrait s’opposer à la légitimité d’une intervention génétique dans de telles circonstances ? Il est pratiquement impossible de s’y opposer, même si l’embryon et tous ses descendants deviendront les premiers humains (partiellement) génétiquement programmés : des OGM humains. La fenêtre d’Overton est déplacée, et le prochain débat pourrait la déplacer encore davantage, peut-être pour permettre la modification génétique afin d’augmenter la résistance à la fatigue, d’affiner la vision ou d’améliorer la mémoire. Combien de personnes s’y opposeront si les trois prémisses idéologiques dont nous avons discuté restent largement inconnues ? À partir de quel moment, exactement, nous nous écartons de l’eugénisme ?

Un autre exemple est issu du projet Cyborg, dirigé par le transhumaniste britannique Kevin Warwick, professeur de cybernétique à l’université de Coventry. En 1998, puis en 2002, Warwick a inséré dans son bras des électrodes directement reliées à son système nerveux. Celles-ci étaient ensuite connectées à un ordinateur et, de là, à l’internet. Grâce à ce dispositif, il a pu contrôler à distance un bras robotique physiquement situé de l’autre côté de l’Atlantique. Inversement, son bras est devenu contrôlable à distance par ordinateur. Dans une autre expérience, il a réussi à faire communiquer son propre système nerveux avec celui de sa femme, également implantée d’une puce électronique. À ce moment-là, leurs deux corps étaient en synthèse avec l’internet. Ce type d’intégration homme-machine, à la croisée des neurosciences, de la chirurgie médicale, de l’ingénierie numérique et de la robotique, témoigne d’une mentalité profondément transhumaniste, comme le reconnaissait Warwick lui-même en 2000 : « Ceux qui sont devenus des cyborgs auront une longueur d’avance sur les humains. Et tout comme les humains se sont toujours considérés comme supérieurs aux autres formes de vie, il est probable que les cyborgs mépriseront les humains qui n’ont pas encore « évolué » »21.

II – Un imaginaire technologique puissant pour la prochaine révolution industrielle.


Depuis l’expérience de Warwick, le rêve de créer des cyborgs posthumains est devenu plus explicite et plus courant, appelant les politiciens et le système juridique à faire preuve de créativité.22 Par exemple, en 2017, Apple et Cochlear ont lancé le Nucleus 7, un processeur sonore qui crée une connexion sans fil entre un iPhone et une puce implantée chirurgicalement dans l’oreille. L’appareil permet aux personnes sourdes d’écouter de la musique, de passer des appels téléphoniques et d’entendre le son des contenus vidéo.23 La société suédoise BioHax et l’entreprise américaine Three Square Market proposent déjà aux employés de se faire implanter gratuitement des micropuces sous-cutanées qui saisiront automatiquement leurs mots de passe pour les ordinateurs de l’entreprise, déverrouilleront les portes des bureaux, stockeront leurs informations personnelles et serviront de moyen de paiement à la cafétéria du personnel24. Parallèlement, le travail d’artistes transhumanistes tels que Neil Harbisson contribue à faire entrer l’imaginaire cyborg dans la conscience publique.25 Est-il concevable qu’une technologie future permettant d’implanter une puce directement dans le cerveau soit interdite, si cette technologie est utilisée – du moins dans un premier temps – pour stimuler la mémoire d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer ?

Ces deux exemples démontrent que l’idéologie transhumaniste, souvent baignée de la lueur d’une vocation médicale authentiquement humaniste (sauver des vies, soulager la souffrance), s’efforce par tous les moyens de présenter les nouveaux artefacts technologiques qui modifient la nature humaine comme incontestables, inévitables et, surtout, éminemment souhaitables. En ce sens, ces artefacts sont bien plus qu’un nouvel objet ou une nouvelle procédure ; ils représentent invariablement une communion entre un objet ou une procédure technologique et une technologie discursive sophistiquée et ciblée qui le présente comme convoitable et/ou bénéfique. Ce sont les deux faces d’une même médaille ; nous n’avons jamais l’une sans l’autre. L’objectif ultime est toujours le même : dépolitiser le débat autant que possible, en convainquant les gens que cette technologie très spécifique est la solution parfaite à un problème étroit et bien défini.

Lire l’article complet ici…

Source : https://www.technocracy.news/transhumanism-the-dominant-ideology-of-the-fourth-industrial-revolution/

Traduction : https://exoconscience.com

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